Dans le monde du soin, les mots sont souvent considérés comme secondaires face aux gestes techniques, aux diagnostics ou aux protocoles. Pourtant, l’écriture, sous toutes ses formes, occupe une place essentielle dans la pratique infirmière. Elle permet non seulement de consigner, d’observer et d’analyser, mais aussi de ressentir, de comprendre et de guérir. L’expression « écrire pour soigner, soigner par l’écriture » résume cette double dynamique : celle d’un soin qui se dit, se pense, s’écrit — et d’une écriture qui devient, elle-même, un acte de soin.
Dans ce contexte, la littérature belge, riche en sensibilité, en introspection et en observation du réel, offre un terrain d’inspiration fécond pour les professionnels et les étudiants en soins infirmiers. À travers des auteurs comme Georges Rodenbach, Marguerite Yourcenar, Jean Muno, Amélie Nothomb ou encore Caroline Lamarche, la littérature belge explore les zones d’ombre et de lumière de l’âme humaine — celles-là mêmes que l’infirmier côtoie chaque jour dans son rapport au patient.
1. Écrire pour soigner : l’écriture comme outil de compréhension et de résilience
Écrire, pour un soignant, c’est d’abord mettre de l’ordre dans l’expérience. Le quotidien infirmier est fait de situations intenses : douleur, urgence, gratitude, fatigue, impuissance. Ces émotions, si elles ne sont pas nommées, risquent de s’accumuler et d’épuiser le professionnel. L’écriture devient alors une forme de catharsis, un moyen de donner du sens à ce qui est vécu.
Les écrivains belges, par leur manière d’aborder la fragilité humaine, peuvent inspirer cette démarche. Amélie Nothomb, par exemple, dans ses récits souvent autofictionnels, explore la relation entre le corps et l’esprit, la maladie et la parole. Georges Rodenbach, dans Bruges-la-Morte, transforme une ville en miroir du deuil et de la mélancolie. Ces œuvres rappellent que mettre des mots sur la souffrance, c’est déjà commencer à la soigner.
Pour l’infirmier, tenir un journal réflexif, rédiger une situation de soin dans son mémoire ou écrire simplement pour soi-même, c’est déjà pratiquer un soin intérieur. Ce processus d’écriture aide à se distancier des émotions, à identifier ses valeurs, à trouver une posture professionnelle plus stable. Ainsi, écrire pour soigner, c’est aussi se soigner soi-même afin de mieux prendre soin des autres.
2. Soigner par l’écriture : quand la parole devient un acte thérapeutique
Inversement, l’écriture peut aussi devenir un outil thérapeutique dirigé vers le patient. De nombreux projets en milieux hospitaliers ou gériatriques utilisent la lecture et l’écriture comme leviers de mieux-être : ateliers de poésie, correspondances entre patients, carnets de gratitude, lettres symboliques. Ces initiatives s’inscrivent dans une approche globale du soin, où le corps et l’esprit sont indissociables.
La littérature belge offre un modèle précieux pour ce type d’approche. Elle privilégie le réalisme sensible, l’humour discret, l’attention aux détails du quotidien — des qualités qui rejoignent la philosophie du soin. Lire ou partager un texte d’Amélie Nothomb ou de Jean Muno avec un patient, c’est offrir une pause, un espace d’évasion, mais aussi une invitation à réfléchir sur soi, à renouer avec la parole.
Soigner par l’écriture, c’est aussi accompagner le patient dans sa propre narration. L’infirmier peut encourager une personne hospitalisée à écrire son histoire, à exprimer ses émotions, à revisiter des souvenirs. Ce processus narratif aide à reconstruire une identité parfois fragilisée par la maladie.
Comme le rappelle la psychologue belge Marie Gevers : « Écrire, c’est se retrouver dans ses propres mots ». Ainsi, l’acte d’écrire devient un soin partagé, une co-création entre le soignant et le soigné.
3. Littérature belge et regard infirmier : une école de l’empathie
La lecture des auteurs belges peut également nourrir la formation éthique et émotionnelle du futur infirmier. Ces écrivains, souvent proches de l’intime et de la condition humaine, offrent un regard subtil sur les relations, les blessures et les contradictions du cœur humain.
Par exemple, Marguerite Yourcenar, dans Mémoires d’Hadrien, aborde la fragilité du corps et la lucidité face à la mort ; Georges Simenon, à travers ses romans psychologiques, montre combien chaque être est traversé par des zones d’ombre et de lumière. Ces lectures invitent le soignant à développer son empathie et sa compréhension du vécu de l’autre, qualités essentielles dans la relation de soin.
En ce sens, la littérature devient un outil de formation humaniste. Elle apprend à observer sans juger, à écouter sans interrompre, à accueillir la complexité des émotions. Le futur infirmier qui s’inspire de la littérature belge apprend à relier savoirs cliniques et savoirs sensibles, à conjuguer la rigueur du soin avec la profondeur du regard humain.
4. Écrire dans le TFE : une étape de soin intellectuel et émotionnel
Dans la rédaction et la soutenance de son mémoire infirmier (TFE), l’écriture prend une dimension particulière. Elle devient un lieu de réflexion sur le soin et sur soi-même en tant que futur professionnel. En rédigeant son TFE, l’étudiant apprend à articuler théorie et vécu, émotion et analyse, science et humanité.
S’inspirer de la littérature belge peut aider à donner du souffle et de la sensibilité à cette écriture académique. Un TFE qui ose mêler rigueur scientifique et profondeur humaine devient non seulement un travail de recherche, mais aussi une œuvre de soin par les mots.
5. Conclusion : des mots pour guérir, un regard pour comprendre
« Écrire pour soigner, soigner par l’écriture » — cette formule traduit une vérité simple : le soin commence par la parole. L’écriture, qu’elle soit littéraire, personnelle ou professionnelle, agit comme un fil reliant le vécu, l’émotion et la compréhension. La littérature belge, par son humanité, sa lucidité et sa tendresse pour les fragilités humaines, incite à cultiver cette dimension réflexive et créative du soin.
Pour l’infirmier comme pour l’écrivain, il s’agit avant tout de regarder et d’écouter : les autres, le monde, soi-même. Ainsi, écrire devient un acte de présence, une façon de dire à l’autre : je te vois, je t’entends, tu existes. Et c’est peut-être là, dans cette reconnaissance partagée, que commence véritablement le soin.